Haïku : un peu de poésie dans ce monde de ludistes


Un jeu de Jérémie Caplanne, illustré par Benjamin Treilhou et les artistes historiques ayant réalisé les estampes japonaises, éditée par Multivers.


Instant Wikipédia : 

Le haïku est une forme de poésie japonaise très brève, composée en général de dix-sept mores, réparties en trois vers suivant un schéma de 5/7/5.

L’origine de cet art est attribuée au poète nippon Matsuo Bashō, dans les années 1660.

Souvent imitée par l’Occident, mais rarement égalée, cette forme poétique l’est en général parce que nous comptons en syllabes, et qu’une syllabe peut contenir jusqu’à trois mores, rendant ainsi le poème irrégulier.

La vocation du haïku est de produire l’équivalent d’une photo instantanée d’une émotion.

Seegan Mabesoone, spécialiste du domaine, le décrit comme « l’art de la juxtaposition d’images non logiques, guidées par l’émotion ».

La règle du kigo, considérée comme une obligation par beaucoup, consiste à insérer dans son haïku un mot relatif à la nature ou à l’une des cinq saisons (le Nouvel An est une saison à part entière au Japon).

Pas si facile que cela, la poésie venue de l’Extrême-Orient… 

À vous d’essayer, si l’envie vous en prend !


Installation : 5 minutes

Règles : 5 minutes 

Temps de partie : 20 minutes 

Âge : 8 ans

Type de jeu : coopératif, communication, association de mots

Thème : poésie japonaise. 




Soirée ludique 

Une lune montante 

Un article point 


Ceci sera ma participation à la poésie mondiale. Après m’être fadé les Contemplations de Victor Hugo au collège, après avoir appris par cœur La Charogne du roi Baudelaire, il était temps de poser ma pierre à l’édifice et de rejoindre Masaoka Shiki au panthéon des poètes nippons.

Ou pas.


Et puis, comme le disait si bien Haïku Na, ma tata : « Il faut vivre ta vie sans aucun souci, philosophie. »

Depuis, j’ai ça dans le sang, alors merci, tata Haïku Na…

(Oui, je sais, il n’est pas terrible, mais je l’aime bien, mon calembour.)


Mise en place : 

Chaque joueur reçoit un plateau Torii, six jetons Estampe de sa couleur et huit tuiles Haïku recto verso.

Le reste des tuiles est placé dans le sac.


On mélange les cartes Estampe, puis on en place six au centre de la table, chacune associée à un jeton Symbole.

On place ensuite les onze cartes Démon et les onze cartes Joueur dans l’ordre croissant.

Pour finir, la Kokeshi est placée au centre de la table, accessible à tout le monde (non, elle ne servira pas de totem façon Jungle Speed : c’est Haïku, pas Ska, le titre du jeu).

Et vous voilà tous prêts à poéter en toute discrétion !


La main de départ de Mme J

Les cartes Joueurs et Démon

Les Estampes


🔁La partie se joue en manches et continue jusqu’à ce que la pile de cartes Joueur ou Démon soit épuisée, dévoilant la carte Victoire ou Défaite.


📢 Première phase — tout le monde joue en même temps

Chaque joueur observe les grandes et belles cartes Estampe placées au centre de la table.

Après en avoir choisi une en secret, il compose, sur son Torii, un haïku à l’aide de trois tuiles parmi les huit qu’il possède.

Une fois son œuvre composée, le joueur place face cachée l’un de ses jetons Estampe en haut du Torii, puis attend que les retardataires terminent leur composition.


📜 Deuxième phase — la déclamation

Une fois les haïkus terminés, un joueur se lance et lit d’une voix grave et solennelle son poème à l’assemblée.

Cette dernière tient alors un conciliabule pour déterminer quelle estampe est représentée par les paroles du conteur (espérons simplement que le conciliabule soit la seule chose, en France, plus courte que les gouvernements récents).

Une fois la décision prise, les joueurs prennent la Kokeshi et la placent sur la carte désignée.


Le compositeur retourne alors le jeton Estampe de son Torii :

👍s’il correspond au jeton Symbole de la carte désignée : victoire : on défausse une carte Joueur ;

👎sinon : défaite : on défausse une carte Démon.


Le choix...

Serait ce la bonne ?!...


Tous les joueurs déclament leur association de mots à tour de rôle (ils peuvent d’ailleurs tous désigner la même carte).

Puis on remplace les six cartes Estampe par de nouvelles, et chaque joueur reçoit trois nouvelles tuiles Haïku pour tenter de refaire briller son esprit artistique.


🏁 La partie s’achève lorsque la carte Victoire 🏆 est dévoilée, célébrant l’inventivité des joueurs, désormais dignes de siéger au panthéon des créateurs de haïku en kimono traditionnel, aux côtés de légendes de la poésie comme Du Bellay, Arakida Moritake ou Elmer Food Beat.


Si, en revanche, c’est la carte Défaite 💀 qui apparaît, les joueurs seront au poème ce que Thierry Roland est à la chanson française : un événement malheureux à oublier.

(La curiosité vous poussera sûrement à aller écouter cette œuvre musicale. Désolée !)


👥À 2 joueurs on retire 2 cartes Démon et 2 cartes Joueurs.


👀

Le matériel est de très belle qualité.

Je ne vais pas revenir sur les estampes, qui sont de véritables œuvres d’art réalisées par des artistes japonais.

Les Torii, les jetons, les tuiles et le sac sont de très bonne facture, et je subodore que les tuiles Haïku sont tirées de véritables textes.


Que dire ? Les jeux de communication sont légion : du mime de Time’s Up! au toucher de Au creux de ta main, tous les sens y passent (même pour l’odorat, vous avez Bacchanal, par exemple).

Mais la communication par la poésie, ça, c’est une première !


Le temps que tout le monde prenne connaissance de ses dix-huit phrases et des six estampes centrales, la première phase de la première manche peut être un peu longue.

Mais dès que tout le monde maîtrise son jeu, cela devient beaucoup plus fluide.


On réfléchit à la manière de se faire comprendre avec ce qu’on a sous la main.


💭Il faut que j’arrive à exprimer, en trois phrases seulement, le côté nacré de la femme, mais aussi son air farouche et l’aspect envoûtant des fleurs de cerisier.

C’est sûr que là, on n’est pas chez Maître Gims avec ses sorcières qui se tapent Loulou et Boutin (je ne suis d’ailleurs pas certain d’avoir compris l’essence profonde des paroles du chanteur égyptologue).


Pâleur matinale 

Un amour éphémère 

Tombé dans l’oubli 


Ça me semble pas mal… Et après l’avoir déclamé, sûr de mon idée, quelle ne fut pas ma déception de voir Mme J poser la Kokeshi sur le Mont Fuji, dans le feu du ciel de l’aurore, plutôt que sur la geisha juste à côté.

Et c’est seulement à ce moment-là que je me suis rappelé qu’avec Mme J, on se comprenait aussi bien qu’un médecin devant un homéopathe : un hermétisme bilatéral, donc.

Uniquement sur les jeux de communication, rassurez-vous.

Quoique… je ne devais pas sortir les poubelles, hier, moi ?


Ce n’est pas grave : le démon l’emportera, mais le plaisir, lui, est bien là.


On retrouve un peu les sensations d’un Stella Dixit Universe : les paroles nous entraînent dans l’imaginaire, et les plus timides peuvent s’amuser sans se sentir jugés, et sans avoir à lire leur création à haute voix.


Il suffit de la montrer aux autres et de les voir argumenter entre eux pour s’amuser, tout en observant qui parvient à nous suivre… et qui s’envole, tel un étourneau en mal d’altitude.


Pour y avoir joué avec un groupe de sourds — maîtrisant aussi bien la langue des signes que la théorie des cordes —, on a pourtant tous réussi à communiquer et à se comprendre pour jouer ensemble.


Au final, un jeu qui rassemble et qui offre une vraie tranche d’amusement en groupe… encore faut-il aimer ce genre d’exercice de style.


👉Alors, à 2 c’est mieux ? 


À deux joueurs, on réduit le nombre de cartes nécessaires pour atteindre la victoire ou la défaite, évitant ainsi les parties à rallonge — et c’est tant mieux.

Pour moi, la poésie, c’est bien, mais à petite dose : j’ai encore un souvenir cuisant du commentaire de texte sur table de quatre heures sur Les Contemplations de Victor H.

La poésie, ça se déclame, ça se vit… et je ne suis pas sûr de la vivre de façon académique.


Et pourtant, le mixe ludique me permet d’apprécier ces envolées lyriques autour de la table de jeu.

Après, ne nous voilons pas la face : ce qui fait le sel de ce type de jeu, c’est la discussion entre les joueurs, qui essaient de comprendre ce qu’a voulu exprimer l’autre avec ses trois vers.

Et force est d’avouer qu’à deux, on discute avec soi-même : l’avantage, c’est qu’on se comprend ; l’inconvénient, c’est que ça donne un petit côté « j’ai oublié mon Abilify… ».


Pour conclure : un jeu agréable à deux joueurs, mais qui sera à son apogée à quatre ou cinq, comme pour une par...tie de cartes, en somme. #GaspardetBalthazar


Un jeu qui rapproche et qui amuse, une belle découverte en festival, et qui rejoindra probablement la ludothèque — un jour — quand Mme J se sera décidée à insuffler un peu de poésie dans notre quotidien.


Instant ludique

La journée sans nuage 

Rire cristallin 


Un peu de beauté,
dans ce monde de joueurs,
souffle de douceur.


On ne m’arrête plus…

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