Take Time : il est l’or... monseignor... de jouer!
Un jeu d’Alexi Piovesan et Julien Prothière, illustré par Maud Chalmel et édité par Libellud.
☝ Instant Wikipédia :
24 heures dans une journée, c’est une base admise un peu partout dans le monde, pourtant cela n’a pas toujours été le cas.
Initialement, ce sont les Sumériens, il y a quelque 3 000 à 4 000 ans, qui ont commencé à subdiviser les journées en 6 : 3 périodes de jour et 3 de nuit.
Puis, chemin faisant, ils ont à nouveau divisé ces périodes par 2 pour passer à 12 périodes, puis encore par 2 pour arriver à 24 heures, soit une journée.
Le fait d’avoir choisi un multiple de 12 pour la journée vient très probablement du fait qu’il y ait 12 mois lunaires dans une année.
À la base, les heures étaient de durées variables.
Ce système de décompte se propage d’abord chez les Grecs, puis chez les Romains, qui choisiront d’ailleurs de faire commencer la journée au milieu de la nuit, choix encore d’actualité de nos jours. Alexandre le Grand, par ses conquêtes, emportera ce système à travers le monde. Système déjà en vigueur chez les Égyptiens, même si la raison des 24 heures est toute autre : le jour y était divisé en 10 heures, plus une heure pour l’aube et une heure pour le coucher du Soleil. De même pour la nuit. Ce qui donne 24 heures.
Quelques millénaires plus tard, 300 à 400 ans avant Jésus-Christ, ces mêmes Sumériens (enfin, leurs descendants) créèrent les minutes et les secondes pour aider les astronomes dans leurs travaux. Le choix de 60 est probablement lié au fait qu’ils comptaient en base 60, car 60 se divise en effet par 2, 3, 4, 5, 6, 10, 12, 15, 20 et 30. Ce système sexagésimal leur semblait plus simple, et c’est resté uniquement pour le calcul du temps et des angles en mathématiques.
En France, il faudra attendre le XIVᵉ siècle pour que les astronomes arrivent à le faire admettre aux réfractaires gaulois du cru, et encore attendre l’avènement de la montre au XVIIᵉ siècle pour que cela soit couramment admis. La France, un pays de précurseurs et d’avenir… ou pas.
Mise en place : 5 minutes
Règles : 10 minutes
Temps de partie : 10 minutes par horloge
Âge : 8 ans
Type de jeu : coopératif, communication par les chiffres, divination
Thème : comprendre comment vos partenaires lisent l’heure
Papa, papa, je ne veux plus dormir…
Cette phrase que tous les parents du monde, depuis l’histoire de l’humanité, ont entendue au moins une fois dans leur carrière parentale, alors que les matines n’ont même pas encore eu l’idée de sonner.
Ce n’est pas l’heure, rendors-toi immédiatement si tu ne veux pas que je vienne t’arracher les cordes vocales avec… pardon, referme tes jolis yeux, mon chéri, ce n’est pas l’heure de chanter, le marchand de sable revient.
Réponse universelle depuis que les Sumériens ont eu la brillante idée d’inventer l’heure.
Par contre, sinon apprenait à l’héritier à lire l’heure, il comprendrait immédiatement s’il peut ou non sonner les matines, réveiller la maisonnée et faire chauffer l’ami Ricoré, ou si, au contraire, il vaut mieux fermer sa mouille et contempler silencieusement l’intérieur de ses paupières.
Sur cette idée lumineuse, nous voilà à acheter un réveil indiquant, par l’illumination d’un petit soleil ou d’une petite lune, l’heure du lever. Et force est de constater que cet investissement et l’apprentissage de sa lecture ont porté leurs fruits… maintenant, il hurle pareil, mais précise que le soleil n’est pas levé… c’est merveilleux, non ?
Bon, allons jouer avec le temps, voir si on arrive à lui inculquer l’importance de comprendre l’horloge et le cycle du sommeil associé.
🔧Mise en place :
On ouvre une enveloppe, on sort les 4 horloges qu’elle contient, on place la numéro 1 devant les joueurs, les autres étant placées sur le côté. Les autres enveloppes, ainsi que celles de Regret et Renaissance, sont placées sur le côté. On place le jeton Rappel, adapté au nombre de joueurs, auquel on associe 3 jetons Bonus face cachée. L’aiguille est mise à part : elle apparaîtra lors d’une enveloppe future. Les cartes sont brassées toutes ensemble sans distinction de couleur (si ça marche pour des cartes, pourquoi pas pour les hommes ?), puis distribuez-en un nombre à chacun en fonction du nombre de joueurs.
📢Et voilà l’heure du début de partie à sonner.
Le but va être de résoudre les 4 horloges présentes dans chaque enveloppe, dans l’ordre croissant. On peut bien entendu ne faire qu’une horloge pour des parties plus courtes.
Le jeu se déroule en 3 phases, après avoir pris connaissance de l’horloge et de ses demandes spécifiques. Les seules règles communes à chacune sont :
– chaque section de l’horloge doit contenir au moins une carte
– en partant de l’aiguille, chaque carte ou somme de cartes doit être croissante
– les demandes de chaque section, s’il y en a, doivent être respectées
– à l’exception des premières horloges, la somme maximale pouvant être atteinte est de 24, comme le nombre d’heures dans une journée
🕐1re phase : la mise en place de la stratégie commune
Sans connaître la valeur des cartes, mais en connaissant leur couleur (jour en blanc et nuit en bleu nuit), les joueurs vont discuter stratégie. Alors celui qui commence, c’est celui qui aura la plus petite valeur blanche. Moi, en général, j’essaie de poser en premier les petites valeurs de cartes. Moi, je propose d’attaquer la Mandchourie… pardon, mauvais jeu, etc.
🕑2e phase : le jeu
Les joueurs prennent connaissance de leurs cartes et s’aperçoivent que le dieu de la chance s’est habilement mouché dans leur stratégie, mais il n’est plus possible de communiquer. Le premier joueur autoproclamé (celui que la stratégie de la phase 1 a essayé de désigner) va poser une carte de son choix face cachée en face d’une section (de base, il n’y a pas de limite de cartes par section, à l’exception des règles spécifiques de l’horloge). Certaines définissent dans quelle section jouer en premier : il faudra s’adapter. Puis chacun fait de même dans le sens des aiguilles d’une montre.
Il est possible de poser des cartes visibles pendant la manche en fonction du nombre d’yeux visibles sur le jeton Rappel et ses éventuels jetons Bonus visibles.
La phase s’achève quand plus personne n’a de carte en main. On passe alors à la phase suivante. Il est interdit de garder ou de défausser des cartes : le temps se joue, il ne se perd pas.
🕒3e phase : la révélation
(Merci de rajouter une musique dramatique version La Cité de la peur.)
On révèle les cartes dans le sens horaire.
👍🏆Soit elles respectent les règles de croissance et c’est gagné : il ne vous reste plus qu’à perdre à la suivante. En cas d’échec, vous retournez un jeton Bonus pour avoir un œil de plus en refaisant l’horloge, dans la limite de 3. Si cela ne suffit pas, peut-être que vous avez la communication du gouvernement et qu’il va falloir y remédier.
👎💀Dans le cas où une horloge semblerait insoluble, elle peut être transférée dans l’enveloppe des Regrets et pourra être retentée ultérieurement, lors d’une partie intitulée par nos soins « partie de la loose », où l’on ressort tous nos échecs. Non, ne t’inquiète pas, Mme J, je range mes ex… de toute manière, il y en a beaucoup trop. Je ne parle que des échecs dans ce jeu.
🕛À la fin des 4 horloges, on passe à l’enveloppe suivante, dont nous ne vous dévoilerons pas les caractéristiques. Mais la difficulté va crescendo et vous aurez vite l’impression de ne plus comprendre vos co-maîtres du temps.
Il existe une dernière enveloppe nommée Renaissance, dont seuls les braves parmi les braves pourront connaître le contenu. Elle permet de maintenir une rejouabilité quand toutes les enveloppes ont été jouées.
👥À 2 joueurs, le jeton Rappel ne montre que 2 yeux.
Chaque joueur part avec un deck de 4 cartes pour débuter et un deck de 2 cartes placé à proximité.
Il ne pourra prendre connaissance des 2 dernières cartes qu’une fois 2 cartes déjà jouées.
👀
Libellud nous a toujours habitués à du matériel de toute beauté, et Take Time ne déroge pas à la règle. Tout est magnifique : les cartes à dorures sont splendides et leur manipulation est un vrai plaisir.
Les horloges sont aussi très claires, et l’ajout des règles avec un feuillet dans chaque enveloppe facilite l’apprentissage et permet de maintenir le suspense sur les règles à venir.
On apprécie aussi l’absence de plastique et une boîte ajustée pour économiser les matières premières.
La question qui peut se poser en regardant de plus près les cadrans vient du fait que le 4 des horloges est écrit IIII et non IV.
Et pour répondre à cette question, voici un second mini ☝ Instant Wikipédia (c’est cadeau, après tout, cela va être Noël). Le système numérique romain découle du système étrusque : le 4 était symbolisé par quatre barres, mais pouvait aussi s’écrire sous la forme 5 − 1, soit IV.
Or, Jupiter, dieu des dieux, s’écrit IVPPITER, et beaucoup trouvaient inconvenant que les initiales du dieu correspondent au nombre 4, ce qui entraîna un maintien de l’écriture étrusque. Quelques siècles plus tard, notre brave Louis XIV commanda une horloge. En la recevant avec le 4 écrit IV et non IIII, il fit prestement quérir l’horloger pour lui signaler qu’il y avait une erreur.
L’horloger tenta de démentir, mais le roi lui rappela une maxime chère à Mme J : le roi a toujours raison. L’horloger, souhaitant conserver sa tête, changea fissa le IV en IIII. Depuis, les horlogers ont maintenu cette écriture, même si elle tend à disparaître.
Tout ça pour dire qu’il n’y a pas d’erreur dans le jeu, juste une anecdote historique du plus bel effet.
❓Bon, revenons-en à nos moutons… enfin, à notre temps plutôt qu’au temps d’avant plein d’Étrusques. Cela vaut-il le coup de jouer avec le temps ? Par ailleurs, les jeux de communication sont la spécialité de Libellud. À force d’être mis à toutes les sauces, arrivent-ils encore à être originaux ?
À ces deux questions, contrairement à la chanson de Boris Vian, nous répondons oui.
La phase de discussion à l’aveugle permet seulement d’envisager la suite : celui qui a la plus petite carte nuit commence. Là, on essaie de mettre un 8, pas plus de 10 ici, etc. Et puis on découvre son jeu… bon, mon 4 nuit est bas, mais est-ce le plus bas ? Personne ne bouge, donc je me lance, mais par précaution, je vais le placer face visible, et tant pis pour le bonus. Bon, vu le regard fort constipé de Mme J, le 3 devait être en sa possession (ou alors elle a mangé trop de chocolat).
La partie se déroule plutôt rapidement jusqu’à ce que le cadran soit plein et que la phase de révélation arrive, alors que la tension est à son paroxysme. On retourne mes 4 noirs, suivis de deux 2 blancs : ça passe… et on avance le long du temps en bloquant sa respiration jusqu’à la résolution positive, associée à des regards de connivence entre les protagonistes, comme si la réussite était une évidence. Ou, au contraire, jusqu’à l’échec et les reproches à peine voilés :
« Mais on avait dit la carte la plus basse ! »
« Oui, mais tu ne faisais rien, j’ai déduit que… »
« Bah arrête de déduire et on recommence… »
Oui, la dame est revancharde.
La mécanique arrive à merveille à retranscrire la tension voulue, et les bonus en cas d’échec, ou la possibilité de placer l’horloge maudite dans une enveloppe de Regret pour y revenir quand les astres de la communication seront plus alignés, est une merveilleuse idée antifrustration.
Une très belle mécanique dans un très bon jeu, où la difficulté augmente crescendo jusqu’à une enveloppe Renaissance qui redistribuera peut-être les règles et la tension du jeu. Seul le temps nous le dira.
👉Alors, à 2, c’est mieux ?
Le fait de maintenir deux cartes inconnues lors des deux premiers tours de jeu permet de conserver une difficulté soutenue pour les duellistes. On garde une incertitude incomplète, car on connaît quand même la couleur de la carte. En conséquence, si l’horloge demande que la carte de plus petite valeur soit seule et bleue nuit, les joueurs devront se poser la question de savoir lequel des deux a la plus petite carte nuit, mais pourront aussi miser sur leurs deux cartes à venir, qui pourraient coller avec les prérequis de l’horloge.
Se précipiter en assurant le coup, au risque de se retrouver avec des cartes de faible valeur pas toujours simples à placer en fin de manche, ou temporiser sans pouvoir le dire à l’autre et risquer de le voir saboter sa propre stratégie… Quand placer sa carte face visible ? Immédiatement pour prévenir qu’on s’embarque dans une croisière digne du Titanic plutôt que du Pacific Princess ?
Beaucoup d’interrogations dont les réponses arriveront trop tard au moment où les cartes se dévoilent. Et oui, vous pensiez avoir ramené Clara Morgan dans votre cabine, mais au moment de se dévoiler, voilà qu’apparaît Demis Roussos… dommage, la réussite n’est pas au rendez-vous et la folle croisière risque d’être moins folle et plus poilue. Heureusement, un bonus vous aidera pour le prochain round.
Au final, l’ambiance en duel ne sera pas la même qu’avec un plus grand groupe, mais le plaisir est bien là. Et même si, comme chez les J, quand l’un dit blanc, l’autre comprend « tiens, tu aurais pu sortir la poubelle », ce à quoi l’autre répond du tac au tac « il est sympa, le dernier tome de One Piece », vous vous amuserez quand même, malgré une communication et une compréhension proches du néant.
Et puis, mis à part Focus, One Key et Code Name Duo (pas d’article pour le dernier), peu de jeux de communication tournent bien à 2 sans grosse adaptation de règles. Alors, quand on en trouve un, il faut s’en féliciter.
Et sinon, le changement d’heure, c’est pour quelle horloge ?











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