Endeavor : l'âge de la Voile. Retour sur le colonialisme.


Un jeu de Carl de Visser et Jarratt Gray, illustré par Josh Cappel et Noah Adelman, et édité par Super Meeple.

Instant Wikipedia : l’âge de la Voile débute aux alentours de 1571 pour se terminer en 1882. 
Il désigne la période où tous les commerces internationaux et guerres sont dominés par les bateaux à voile (on est loin du catamaran d’oncle Loïc)
La fin de cette période est venue en premier lieu des guerres où les bateaux à vapeur de la guerre de Sécession ont réduit les voiliers lors de la bataille de Hampton Road, donnant un léger avantage aux sudistes en 1862 (suite à ça, toutes les nations ont commencé une course à l’armement naval, le premier cuirassé à vapeur s’appela l' "HMS Dévastation", on sent tout de suite qu’il ne va pas venir enfiler des perles), puis la construction du canal de Suez en 1869, difficilement praticable en voilier fini d’emmeré (c’est comme enterré, mais en plus humide) l’âge de la Voile pour arriver dans l’âge de la pollution, ou de la vapeur au choix, dont on n’est jamais sorti réellement.

Installation : 20 minutes
Règles : 30 bonnes minutes
Temps de partie : 65 minutes.


Vous voilà un brave colonisateur européen en route vers les différentes contrées du monde pour essayer de vous enrichir en contrôlant le plus de lieux possible. 

La première question que vous allez me poser est : quelle est la différence entre un bon et un mauvais colonisateur ? 
Le mauvais colonisateur, il voit un pays étranger, il s’en empare, c’est sur, mais on le reconnaît à la ronde, alors que le bon colonisateur, il voit un pays étranger, il s’en empare, mais c’est pas pareil. Il est gentil avec ses esclaves, ne les paie pas pour autant, mais quand même, on ne serait pas loin de l'argent de poche.

Bon, alors en vrai, le thème du jeu est plus basé sur l’idée de commerce, mais à partir du moment où on découvre de nouveaux pays, qu’on en occupe des villes et qu’éventuellement on peut ramener 1 ou 2 esclaves sous le manteau, on est quand même très proche de la colonisation, appelons un chat un chat et un colon un colon… rien n’a voir avec la proctologie, quoi que… 

Mise en place centrale : une fois le plateau en place on pose :
- les 95 tokens de commerce au hasard sur tous les emplacements ronds du plateau, 
- les cartes avantage rangées dans l’ordre croisant dans chaque région du monde en fonction de leur dos ainsi qu’un gouverneur sous chaque région du plateau, en Europe on rajoute les cartes esclaves
- à côté du plateau, le stock de bâtiments (on en laisse que 3 de niveaux 5). 

Mise en place globale

Les bâtiments

Exemple de cartes avantage, avec en premier la carte gouverneur

Le rappel de toutes les cartes avantage

Les bâtiments disponibles

Puis chaque joueur :
- prend son très grand plateau de joueur, 
- place son bâtiment de départ sur la face de son choix, 
- y place un jeton population, 
- place un cube sur la piste de départs de chaque piste caractéristique (industrie, culture, richesse et influence), 
- place tous ses disques de population à côté de son plateau. 



La petite boite des bleus, très compacte
Rangement très efficace

Si on joue avec l’extension exploit (fourni dans la boîte de Super Meeple), on rajoute :
- 3 cartes exploit (sur 15), 
- on fait la mise en place associée, 
- on place une clef en face de chaque région désignée par l’exploit (chacun désigne 2 régions, il peut donc y avoir plusieurs clefs par région), 
- et les joueurs rajoutent leurs 3 blasons dans leur zone de jeu. 

Et c’est parti pour conquérir le monde, oui je sais, le but est de commercer, mais la finalité est la même.

La partie se déroule en 7 manches de 5 phases.

— Phase de construction : chaque joueur construit un bâtiment qu’il place sur son plateau. 
Le bâtiment est gratuit, mais le choix dépendra de votre niveau sur la piste d’industrie. 
On peut construire plusieurs fois le même bâtiment, il peut être d’une valeur inférieure à notre niveau, mais jamais supérieure. 
S’il contient des ressources, on augmente immédiatement les pistes de caractéristiques associées.
La construction est obligatoire, cela fait aussi office de compte tour. 

— Phase de croissance : on récupère un nombre de disques de population dépendant de votre niveau sur la piste de culture.

— Phase de salaire : on paye la populace travailleuse, on récupère autant de disques de population placés sur des bâtiments lors des tours précédents que son niveau sur la piste de richesse.

De ce fait, on commence la phase 4 avec 3 disques de population au premier tour, 2 provenant de la phase d’embauche et 1 de la phase de salaire.

— Phase d’action : les joueurs vont faire tour à tour une action jusqu’à ce que tout le monde ait passé. Faire une action consiste à dépenser soit un disque de population sur un de ses bâtiments pour faire l’action du bâtiment, soit de dépenser un token de commerce bleu récupéré précédemment pour faire l’action associée. 

Les actions possibles sont :

— Naviguer : on pose un disque population sur une des pistes d’exploration du continent de notre choix tant qu’elle n’est pas complète. On récupère le token commerce de la case, soit un bonus immédiat de caractéristique, soit une action gratuite. 
Quand la piste est complète, le joueur majoritaire prend le gouverneur qu’il peut placer soit sur l’emplacement gouverneur s’il est encore libre, soit sur la première case libre "cartes" sur son plateau, dans la limite de 5 cartes par partie. 
Une fois le gouverneur récupéré, la région est dite ouverte. 
Une fois la région ouverte, le disque peut aussi être posé dans la zone de pleine mer de la région ou sur l’un des navires récupérant ainsi le jeton commerce posé dessus. 

— Occuper : on pose un disque de population sur une ville dans une région ouverte et où on a une présence (l’Europe est ouverte dès le départ, comme l’un des pays est votre pays d’origine, vous y êtes présent, logique). 
On récupère le jeton commerce du fort, si on possède les 2 forts reliés par une jonction, on récupère immédiatement le jeton bonus de la jonction. 

— Guerroyer : on sacrifie un jeton populace, la petite victime, et on prend la place d’un jeton adverse (qui retourne aussi dans la réserve de son propriétaire) sur une zone ouverte, et dont on possède déjà un pied à terre (ou à mer)
Du coup, la guerre coûte cher, 3 jetons population sont nécessaires pour devenir calife à la place du calife. 

— Payer : on récupère un jeton population d’un bâtiment, ce dernier pourra donc être réutilisé à ce tour (mais comme il n’y a pas d’argent dans ce jeu le terme "payer" reste très abstrait) 

— Piocher : le joueur pioche une carte dans n’importe quelle région où il est présent du moment qu’il respecte le nombre de jetons de population présent dans la zone (piste d’exploration, pleine mer, ville, etc.). 
Les cartes sont prises dans l’ordre et dans la limite de sa piste d’influence avec un maximum de 5. 
Les cartes donnent des bonus sur les pistes, des PV etc. 
On peut en plus récupérer une carte esclave, riche en bonus, mais si l’abolition de l’esclavage survient, les esclaves sont libérés, leurs bonus immédiatement perdus et en plus on perd 1 point par esclave en fin de parti. 
Fumier d’abolitionnistes… 

— Passer : un joueur peut décider de passer qu’il ait encore des actions disponibles ou non.

Une fois que tout le monde a passé, on arrive à la dernière phase de la manche, la phase de défausse. 

Les joueurs peuvent réorganiser leurs cartes sur leur plateau, en défausser s’il ne respecte pas les limites de leur piste d’influence (on a toujours droit à une carte esclave en plus de la limite, si Daenerys n’a pas encore fini d’œuvrer en libérant les esclaves), tout en perdant les bonus octroyés par la carte (il ne faut pas rêver non plus)
Les cartes esclaves ainsi défaussées vous donneront quand même des points négatifs en fin de partie, quand on est un enc**** d’esclavagiste cela se voit jusqu’à la fin, au moins dans ce jeu…

Une fois toutes les manches jouées, on compte les points.
Pour commencer, on redescend les marqueurs au dernier symbole visible sur les pistes de caractéristiques donnant les points de chaque piste.
Puis on compte
- les points des cités et connections nous appartenant, 
- les points des bâtiments des cartes et gouverneurs, 
- 1 point par triplet de disques de population toujours dans notre port, 
- puis on soustrait un point par esclave. 

Le vainqueur dominera les mers pour des siècles et des siècles, pendant que les perdants rameront pour maintenir la gloire du vainqueur à flot. 

Au bout de quelques parties, le fait de rajouter 3 exploits parmi 15 modifiera partiellement les règles permettant un renouvellement de toutes les parties. 

À 2 joueurs, en plus de retourner le plateau de jeu sur la face adaptée, on signe le retour de Dirk, le joueur fictif, ici appelé la flotte silencieuse. 
Ce dernier fera des actions en réponses des vôtres. 
Quand un joueur réalise l’action de navigation, il placera en plus un disque de Dirk sur n’importe quelle zone de navigation (piste d’exploration ou autre, en respectant les règles d’ouverture de zone), Dirk peut donc récupérer un gouverneur. 
Si un joueur décide d’occuper une ville, Dirk en occupera une autre dans la même zone. 
Les jetons de commerces de Dirk sont défaussés, de même pour les cartes gouverneurs qu’il serait amené à récupérer. 
Et enfin un joueur faisant l’action pioche donnera une carte de n’importe quelle zone à Dirk, du moment qu’il respecte les conditions de récupération. 
Dans tous les cas, on ne compte pas les points de Dirk et on peut lui faire la guerre pour essayer de récupérer les villes en sa possession.


Fin de partie, avec zoom sur le plateau central

Fin de partie, plateau joueur de Mme J, 
qui a été une gentille colonialiste, et donc a perdu

Endeavor est une réédition d’un jeu sortie en 2009 chez Ystari.
Rééditer un jeu 11 ans après sa première parution dans un monde où l’activité ludique évolue aussi vite qu’une mutation du COVID-19 est toujours risquée, surtout en gamme expert et avec une thématique aussi… Subversive. 

Commençons par le matériel, classieux, avec un modèle de rangement permettant une mise en place assez facile (bon les 95 jetons de commerces ne vont pas se dispatcher par la grâce de Saint Nicolas non plus)
Il n’y a peut être que le jeton premier joueur, énorme couronne en plastique jaune, qui dénote un peu avec le reste, mais dans l’ensemble tout est très plaisant à manipuler avec une iconographie claire, donc peu de retour aux règles.
Les illustrations du jeu plairont ou pas, mais sont réalisées avec beaucoup de finesse.


Rangement pratique et efficace

La thématique est assez surprenante, surtout le côté jeu axé sur le commerce où il n’y qu’une très vague notion d’achat, la thématique est en effet beaucoup plus proche de la colonisation en bonne et du forme.
On explore de nouvelles contrées, on s’empare des villes étrangères, on peut choisir d’avoir des esclaves ou non. 
Au final, on a un peu l’impression que le jeu ne s’assume pas et masque sa thématique très sombre par l’idée de commerce qui est plutôt abstraite dans ce jeu. 
Burnt Island et Grand Gamers Guild, les éditeurs originels, font même un aparté dans les règles pour préciser pourquoi ils ont maintenu l’esclavage dans le jeu. 
Pourtant la colonisation et l’esclavage font MALHEUREUSEMENT partie de l’histoire de l’humanité et les nier serait nier toutes les souffrances des différents peuples jusqu’à l’abolition de l’esclavage d’une part (le 4 février 1794 en France pour rappel, il faudra attendre 2001 pour que l’esclavage soit reconnu comme crime contre l’humanité par la loi Taubira en France), et le retour à la souveraineté de chaque pays d’autre part (là, il est plus compliqué d’être objectif, mais on peut citer la fin de la colonisation française tout du moins en 1962 avec le retour à la souveraineté de l’Algérie). 

Au final, une fois la thématique acceptée, le jeu est très bon, on est dans de la gamme expert, pourtant les parties sont fluides et relativement courtes (1 heure en moyenne, une fois les règles maîtrisées).
On cherche à se placer pour récupérer les bonnes ressources ou les actions gratuites, de faire des liaisons, de guerroyer pour empêcher Mme J de s’emparer trop facilement des colonies africaines, l’ajout du bâtiment gratuit en début de tour permet d’orienter sa stratégie et de la changer d’un tour à l’autre. 

Sur ce tour j’augmente mon industrie pour avoir un meilleur bâtiment au tour prochain, ce qui me permettra de faire une action de navigation et une occupation avec le même disque de population. 
Dois-je succomber à l’attrait de l’esclavage, politiquement incorrect, mais donnant des bonus très intéressants en début de partie, mais attention si quelqu’un joue les cartes en Europe l’abolition risque de me mettre dans le rouge, ou vais-je plutôt la jouer navigation pour engranger les gouverneurs un peu partout donnant ressources et PV… 

Les stratégies sont multiples et seront modifiées à chaque partie en fonction du placement aléatoire des jetons de commerces.

À cela s’ajoute les exploits (3 différents par partie sur 15), qui, une fois les règles bien maîtrisées par tout le monde redonnent une belle rejouabilité et rendent les parties encore plus captivantes, avec parfois l’ajout de très joli matériel sur le plateau. 
Jésuite protégeant les colonies, blocus empêchant de récupérer les bonus de jonction… etc. 
Cela renouvelle chaque partie et augmente l’attrait d’un jeu qui sans ça est déjà très agréable.

Les fiches exploits

Au final nous avons un jeu où l’affrontement est direct avec les guerres, et indirect avec les placements de blocage, rien n’est laissé au hasard et les parties sont plaisantes et donnent vite envie d’y revenir pour reconquérir le monde mieux que la dernière fois.

Alors, à 2 c’est mieux ?

Dans les règles, il est précisé que l’ajout de la flotte silencieuse n’est pas obligatoire, mais pour avoir testé, elle est indispensable. 

Sans la flotte silencieuse, on a à peine le temps d’explorer tous les continents avant que le gong final sonne. 
Cette adaptation des règles, qui à la base était absente du jeu de base d’Ystari, est une très belle réussite. On se retrouve à essayer de bloquer les bonus de jonction lors des actions d’occupation, d’octroyer le gouverneur à Dirk plutôt qu’à l’adversaire lors des actions de navigation, ou de faire avancer plus vite le deck de l’Europe pour abolir l’esclavage lors de l’action pioche (même s’il faut l’admettre, à deux il sera plus rare de voir l’abolition arriver)… les actions guerres prennent du coup tout leur sens pour et dégager Mme J ou Dirk de Calcutta pour rétablir ma jonction avec Colombo. Grâce au rappel de toutes les cartes avantage, on sait ce qui se place après chaque carte, ce qui peut motiver une action, pour que Dirk embarque une carte utile à l'adversaire, ou permettant d'accéder plus rapidement à des bonus plus avantageux.

Malgré cet ajout fort à propos, le jeu à deux peut vite tourner en rond si on a toujours le même adversaire, les exploits deviennent très vite indispensables pour corser la partie et faire en sorte qu’elles ne se ressemblent pas toutes. 

Ce jeu est-il mieux à deux ? 
Nous ne le pensons pas, il est très bien à deux, ici on aime, mais on est conscient qu'à plus de joueurs, on rajoute le côté fourbe que Dirk ne possède pas assez.
De plus, une petite course aux bâtiments se fera, car il reste limités, surtout ceux de niveau 5, les guerres plus fréquentes et l’interaction sera plus violente.

A 2, on est plus dans le blocage et la petite touche relou que dans "paf dans ta gueule colonialiste de mes deux et à moi l’Amérique du Nord mouhahahah", pour autant la petite touche relou (je ne parle pas de Mini J) nous procure quand même un bon plaisir… ludique.

Prêts à vous prendre pour un Christophe Colomb, Vasco de Gamma ou Marco Polo et réécrire l’histoire du colonialisme ?

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